Eden

Marie Le Moigne, France

2 octobre 2024

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Cette série de photographies argentiques a pour ambition d’explorer le concept d’intimité, invitant le spectateur à plonger dans un monde mystérieux où paysages, corps et histoires personnelles se mêlent. Inspirée par l’idée du “jardin d’Eden”, elle évoque un espace privé, caché, un monde intérieur empreint de sensibilité, de féminité, de mystère et d’intimité.

Dans la lignée de mes travaux précédents, notamment “De l’autre côté du Miroir”, “Eden” met en scène le corps féminin de manière omniprésente. Les territoires intimes révèlent des indices corporels, des fragments d’énigmes, une géographie intérieure où le délire féminin s’entrelace avec le concept d’hystérie. Entre rêve et réalité, dans une atmosphère oscillant entre huis clos et errances extérieures, un personnage féminin habite un espace intemporel, suspendu dans l’attente, où le temps semble s’arrêter. C’est comme si un journal intime se faisait public, créant un univers poétique et atemporel où le corps se manifeste tel un spectre, un fantôme, dans une temporalité indéfinie.

Le titre “Eden” évoque un lieu de sérénité et de mystère, un sanctuaire où l’intimité se révèle pleinement. Il symbolise un espace à la fois personnel et universel, où les spectateurs peuvent se perdre et se retrouver. Mes photographies en noir et blanc jouent sur les contrastes et les nuances pour révéler des fragments de cet espace caché, invitant à une exploration introspective et poétique. “Eden” incarne la dualité entre protection et révélation, créant un dialogue entre le visible et l’invisible, le tangible et l’imaginaire.

Cette série est une métaphore de l’origine, de la création et du lien entre nature et corps. Elle explore l’intimité comme une quête de vérité intérieure, s’appuyant sur des références bibliques pour aborder ce thème essentiel de la recherche de soi. Sous un prisme sacré et naturel, le corps devient simultanément espace et paysage, révélant un état natif antérieur à la pudeur et aux cicatrices de l’existence. Ainsi, le corps s’intègre harmonieusement au paysage, et la nature s’étend pour devenir une prolongation du corps, invitant à une réflexion profonde sur la relation entre l’homme et son environnement.

Les photographies de la série “Eden” captent un sentiment intemporel, où les frontières entre passé, présent et futur s’estompent. Le choix délibéré du noir et blanc renforce cette qualité, conférant aux images une aura nostalgique et éternelle. Cette suspension temporelle permet au spectateur de s’immerger dans un espace mental où les souvenirs et les rêveries se rencontrent harmonieusement.

Lorsque je me lance dans la photographie, c’est davantage guidé par mon instinct et mon âme que par des calculs précis. Chaque instant capturé est comme un souffle, une inspiration vitale, ce qui rend parfois le résultat insaisissable. Sur le plan technique, cette série se distingue par l’utilisation de pellicules 35mm et 120mm spécifiques de chez Film Washi, une petite entreprise bretonne fondée en 2013. La particularité de ces pellicules réside dans leur sensibilisation manuelle, conférant à chaque film une unicité. J’ai exploré plusieurs de ces pellicules pour “Eden”, notamment le film W – 25 ISO en 120mm, caractérisé par sa finesse et sa fragilité, avec son support en papier Kozo fabriqué au Japon. Les imperfections et les variations du film et du papier ajoutent un mystère et une abstraction, renforçant ainsi l’atmosphère insaisissable et onirique de la série.

“Eden” a été réalisée en 2023, une année marquée par des défis personnels, notamment une erreur médicale ayant affecté ma santé et exacerbé mon trouble anxieux. La photographie est devenue un refuge, me permettant de rester ancrée dans la réalité lorsque mon esprit vacillait. Cette ambiance évanescente traduit presque une fuite du monde tangible.

Cette série fait suite à “De l’autre côté du miroir”, exposée lors de Nuit Blanche 2023 aux Buttes Chaumont à Paris. Cette référence à l’oeuvre de Lewis Carroll évoque la traversée vers un monde inversé, symbolisant peut-être ma quête inconsciente d’évasion. J’invite les spectateurs à regarder au-delà de la surface et à interpréter la réalité d’un oeil plus sensible, plongeant ainsi dans un univers où les frontières entre rêve et réalité s’estompent.

Inspirée par la littérature et les oeuvres de Marguerite Duras, je construis mes séries photographiques comme des poèmes visuels. Je m’intéresse au langage du corps et à son interaction avec l’environnement, explorant les traces qu’il laisse derrière lui. “Eden” est une invitation à la contemplation, offrant un moment de pause dans le tourbillon quotidien, où le silence, l’intemporalité et la pureté prédominent.

Je souhaite immerger le spectateur dans un dialogue entre le paysage et le corps, explorant les liens poétiques entre l’être féminin et la nature. Les images dévoilent la vulnérabilité du corps face aux éléments naturels, utilisant la matière organique comme une forme d’écriture brutale et expressive.

Note éditoriale : Vous pouvez retrouver le livre “Eden” de Marie Le Moigne publié par CORRIDOR ELEPHANT ici.

“Beyond the grain, in Marie Le Moigne’s photography, there are the details of an unveiling. First emotion at the absence of any temporality; the images are the same for everyone, the reading is multiple. Every imperfection becomes a deliberate detail, making us doubt what we see or what eludes us. An involuntary journey through the mirror that, when the story ends, leaves the reader to their own introspection.” — Publisher CORRIDOR ÉLÉPHANT