Vladimir et estragon
Thomas Ivernel, France
12 mai 2021
Huile sur toile, 81 x 116 cm.
En attendant Godot (extrait)
ESTRAGON. – Les gens sont des cons.
Il se lève péniblement, va en boitillant vers la coulisse gauche, s’arrête, regarde au loin, la main en écran devant les yeux, se retourne, va vers la coulisse droite, regarde au loin. Vladimir le suit des yeux, puis va ramasser la chaussure, regarde dedans, la lâche précipitamment.
VLADIMIR. – Pah !
Il crache par terre. Estragon revient au centre de la scène, regarde vers le fond.
ESTRAGON. – Endroit délicieux. (Il se retourne, avance jusqu’à la rampe, regarde vers le public.) Aspects riants. (Il se tourne vers Vladimir.) Allons-nous-en.
VLADIMIR. – On ne peut pas.
ESTRAGON. – Pourquoi ?
VLADIMIR. – On attend Godot.
ESTRAGON. – C’est vrai. (Un temps.) Tu es sûr que c’est ici ?
VLADIMIR. – Quoi ?
ESTRAGON. – Qu’il faut attendre.
VLADIMIR. – Il a dit devant l’arbre. (Ils regardent l’arbre.) Tu en vois d’autres ?
ESTRAGON. – Qu’est-ce que c’est ?
VLADIMIR. – On dirait un saule.
ESTRAGON. – Où sont les feuilles ?
VLADIMIR. – Il doit être mort.
ESTRAGON. – Finis les pleurs.
VLADIMIR. – A moins que ce ne soit pas la saison.
ESTRAGON. – Ce ne serait pas plutôt un arbrisseau ?
VLADIMIR. – Un arbuste.
ESTRAGON. – Un arbrisseau.
VLADIMIR. – Un … (Il se reprend). Qu’est-ce que tu veux insinuer ? Qu’on s’est trompé d’endroit ?
ESTRAGON. – Il devrait être là.
VLADIMIR. – Il n’a pas dit ferme qu’il viendrait.
ESTRAGON. – Et s’il ne vient pas ?
VLADIMIR. – Nous reviendrons demain.
ESTRAGON. – Et puis après-demain.
VLADIMIR. – Peut-être.
ESTRAGON. – Et ainsi de suite.
VLADIMIR. – C’est-à-dire …
ESTRAGON. – Jusqu’à ce qu’il vienne.
VLADIMIR. – Tu es impitoyable.
ESTRAGON. – Nous sommes déjà venus hier.
VLADIMIR. – Ah non, là tu te goures.
ESTRAGON. – Qu’est-ce que nous avons fait hier ?
VLADIMIR. – Ce que nous avons fait hier ?
— Samuel Beckett