Puzzle transfrontalier v
Marion Renauld, France
26 mai 2021
En japonais, le kanji qui se prononce « ma » est un concept intéressant. Son dessin représente comme un soleil, au centre de deux portes, avec chaque fois un trait horizontal au mitan de chaque carré. Pour traduire, on choisit entre espace, intervalle, trou, distance ou durée ou encore vide, mais vide qui unit davantage qu’il ne sépare en fait. C’est un lieu d’émergence, une respiration ou peut-être un non-lieu qui s’oublie trop souvent puisque rien n’y paraît. Pareil au blanc entre les mots qu’on point médian a pu remplir jadis. La barre d’espace (ici au féminin) se nomme rigoureusement séparateur de mots (forcément au pluriel). Cela n’est pas heureux parce que ça n’aide pas à voir précisément que ça permet le sens, le souffle par lequel, ô bla ô blabla ô, des fragments balbutiés, de frénétiques lucioles, indociles, équivoques, s’accordent enfin s’alignent et parfois même, ô ma, ô soupir frissonnant, nous offrent la clarté d’un commun bruissement. Ouf. Un silence. Une source illimité dans le délimité, l’absence autour des fleurs et qui les enveloppe, les arrange et les ouvre. Et toujours ce mélange de contraires qui fait qu’on ne comprend pas bien. Dispapparaître. Cela qui n’est ni tout à fait, ni rien du tout, ni dedans, ni dehors mais comme un peu des deux, comme existe le vent dont on ne voit pourtant que les effets obliques et comme le soleil qui est cela qui montre et qui brûle les yeux. Ce grand mystère, ordinaire et profond, du trou. L’enfant y met le doigt et y mettant le doigt, complètement l’annule. Nos sols en sont truffés, nos murs et nos gilets, sans parler de nos corps. Et les trous de son corps, ça l’enfant les explore, puis il tente surtout de les domestiquer jusqu’à savoir un jour à quoi qui les écarquiller. En gros, nous sommes des êtres de passage, un rayon entre deux persiennes, une espace frappée entre quelques tirades, un no man’s land, en somme, un débonnaire tunnel, à quelques exceptions. Le cadre n’est pas si large, nous concentrons le dissipé. Mais l’espace est la liberté seulement quand nous avons un nid, comme l’écho n’élargit que s’il y a des parois. Comme n’existe le trou qu’en présence de bords. Nous parlons en sommets bien plus qu’en petits creux et nous, souvent, visons moins les pores que la peau (c’est elle qui est belle dans la brume de l’aube), aveuglés par un astre à peine plus gros qu’un pois dans la soupe galactique, ce noir tout englobant, ce néant presque nu. Car le ma c’est aussi le sens de l’enchaînement, évidemment sans chaîne, balise ni canevas, sans les cercles tracés au pied de ces rochers dans les jardins de pierres, c’est cela grâce à quoi tout peut se déployant en se cristallisant. Voûte plantaire, céleste ou palatine, comme une bouche entre deux cuillères ou ce vase de paumes, collées serrées, de deux mains jointes. Il y a de quoi dire merci, merci ô ma, ô effacement, la poudre impalpable du temps.
Puzzle transfrontalier est un poème que j’ai écrit en novembre 2020, en réponse à l’invitation de Manuela Irarrázabal pour le premier numéro de la revue Espacio Fronterizo. C’est un poème frappé à la machine à écrire, sans retouche ni brouillon, composé de 13 pièces et de 21 cailloux de diverses provenances, formant 9 textes qui se répondent les uns les autres en poursuivant des questions d’espace, de mouvement, d’apprivoisement de nos différences. L’ensemble du puzzle s’étale sur une feuille de papier carrée de 56 centimètres de côté. Je l’ai envoyé par la Poste à Manuela dans une petite boîte bleue, joignant une sorte de mode d’emploi pour sa reconstitution. Passant de la France à l’Angleterre, il a donc déjà voyagé dans la réalité et se retrouve publié sur le site de la revue par morceaux successifs.
Vous pouvez voir la pièce de puzzle précédente ici.
Puzzle transfrontalier is a poem I wrote in November 2020, as a reply to the invitation by Manuela Irarrázabal to participate in the first issue of the journal Espacio Fronterizo. The poem has been typewritten, without modification or rough draft, composed of 13 pieces and 21 stones from diverse origins, presenting 9 texts that match each other, in the pursuit of those questions about the space, movement, taming of our differences. The whole puzzle takes place on a squared sheet of paper 56 centimetres per side. I sent it by post to Manuela in a blue little box with some instructions on how to rebuild it. From France to England, therefore, it already travelled through reality and is now being published on the website of the journal in consecutive pieces.
You can see the previous piece of the puzzle here.
Puzzle transfrontalier es un poema que escribí en noviembre de 2020, en respuesta a la invitación de Manuela Irarrázabal a participar en el primer número de la revista Espacio Fronterizo. El poema fue escrito a máquina, sin modificación ni borrador, y está compuesto de 13 piezas y 21 piedras de diversa procedencia, conformando 9 textos que se corresponden entre sí, persiguiendo preguntas sobre el espacio, el movimiento, y la domesticación de nuestras diferencias. El puzzle completo se extiende sobre una hoja cuadrada de 56 centímetros por lado. Lo envié a Manuela por correo postal en una pequeña caja azul con algunas instrucciones para reconstruirlo. De Francia a Inglaterra, entonces, ya ha viajado por la realidad y ahora es publicado en el sitio de la revista en piezas consecutivas.
Puedes ver la pieza anterior del puzzle aquí.