Puzzle transfrontalier III

Marion Renauld, France

30 mars 2021

Il y a toi. Et parce qu’il y a toi et que tu n’es pas moi et que je ne suis pas toi, parce que nous sommes deux, je te peux désirer sans me vouloir avec. Sans me vouloir aussi. En m’oubliant un peu. Juste te regarder. La forme de ton corps, la texture de ta peau, sa couleur et son grain, ses poils, ses plis, son genre, son âge, ses cicatrices et ses rides et tes muscles et tes creux, ta mollesse, ta souplesse, tes tensions, ta fatigue, tes élans sa dérive et ta soif. Lors je te donne à boire. Tes appétits, tes manques et le contraire aussi, le trop-plein qui rayonne et déborde de toi. Lors tu donnes à qui peut. Juste te recevoir. Juste entendre ta voix, frayer dans tes silences, ensemble être immobiles. Ce plaisir que tu sois. Le plaisir que tu es. Juste ce plaisir-là. Caillou parmi les roches, ta douceur de rivière et puis sa crue sévère, ta colère en éclats de pluie de météores. Ta tristesse de morte-saison. Ta tristesse de grenouille qui voit s’atrophier les nénuphars en fleurs et les roseaux pensants. Lors je me fais creuset et j’épouille tes larmes et feuille de lotus, rebondis si tu veux. Et la science de ta langue et de tes mains, courage, ton refus de céder, ta fine connaissance et ta persévérance, tes rêves, tes intuitions, ton rire enamouré, tes trucs et tes astuces, ta générosité, ta maladresse aussi, tes doutes et de tes doutes, un paquet je ferai que je m’étalerai sur un calme rivage pour minutieusement les trier en fonction de l’effet d’impuissance qui s’en peut découler. Juste te regarder. Te dire que je te vois, comment tu mets ta veste et la table et les draps, comment tu les étends, comment tu téléphones et comment tu conduis et comment tu prends soin des autres tout autour et comment tu renonces et de quoi tu as peur et puis comment tu dors, comment c’est ton visage quand tes yeux sont fermés et quand ils s’ouvrent alors, lors dedans me faufile. Je me fiche de savoir si toi-même tu me vois. j’entre par ta pupille et me promène un peu à l’intérieur de toi, ça me change de moi. Sur mes lèvres, ton sang, doucement, une goutte. Et tes veines et tes os, tes sucs, tes ligaments, tes artères, tes poumons, ton coeur, ton cartilage, ce n’est pas fait pour ça pour être visité, par l’oreille je m’en vais. Juste te deviner. Juste te désirer. Désirer le barbare, l’autre, le discordant. Désirer l’impossible. Juste te regarder. Voir l’inimaginable. Juste te rencontrer. Juste te sentir là pour me renouveler et me renouveler pour pouvoir te parler, pour vraiment t’écouter, pour oser nous toucher. Juste s’apprivoiser parce que tu es toi et parce que je suis moi, et comme ça presque 8 milliards.

Puzzle transfrontalier est un poème que j’ai écrit en novembre 2020, en réponse à l’invitation de Manuela Irarrázabal pour le premier numéro de la revue Espacio Fronterizo. C’est un poème frappé à la machine à écrire, sans retouche ni brouillon, composé de 13 pièces et de 21 cailloux de diverses provenances, formant 9 textes qui se répondent les uns les autres en poursuivant des questions d’espace, de mouvement, d’apprivoisement de nos différences.  L’ensemble du puzzle s’étale sur une feuille de papier carrée de 56 centimètres de côté. Je l’ai envoyé par la Poste à Manuela dans une petite boîte bleue, joignant une sorte de mode d’emploi pour sa reconstitution. Passant de la France à l’Angleterre, il a donc déjà voyagé dans la réalité et se retrouve publié sur le site de la revue par morceaux successifs.

Vous pouvez voir la pièce de puzzle précédente ici  et la prochaine ici.

Puzzle transfrontalier is a poem I wrote in November 2020, as a reply to the invitation by Manuela Irarrázabal to participate in the first issue of the journal Espacio Fronterizo. The poem has been typewritten, without modification or rough draft, composed of 13 pieces and 21 stones from diverse origins, presenting 9 texts that match each other, in the pursuit of those questions about the space, movement, taming of our differences. The whole puzzle takes place on a squared sheet of paper 56 centimetres per side. I sent it by post to Manuela in a blue little box with some instructions on how to rebuild it. From France to England, therefore, it already travelled through reality and is now being published on the website of the journal in consecutive pieces.

You can see the previous piece of the puzzle here and the next one here

Puzzle transfrontalier es un poema que escribí en noviembre de 2020, en respuesta a la invitación de Manuela Irarrázabal a participar en el primer número de la revista Espacio Fronterizo. El poema fue escrito a máquina, sin modificación ni borrador, y está compuesto de 13 piezas y 21 piedras de diversa procedencia, conformando 9 textos que se corresponden entre sí, persiguiendo preguntas sobre el espacio, el movimiento, y la domesticación de nuestras diferencias. El puzzle completo se extiende sobre una hoja cuadrada de 56 centímetros por lado. Lo envié a Manuela por correo postal en una pequeña caja azul con algunas instrucciones para reconstruirlo. De Francia a Inglaterra, entonces, ya ha viajado por la realidad y ahora es publicado en el sitio de la revista en piezas consecutivas.

Puedes ver la pieza anterior del puzzle aquí y la próxima aquí.