De la cité

Jean-François Magre, France

21 avril 2023

Nous pouvons voir le projet

De nos yeux

Il est là

Partout

Sous nos yeux

Mais nous ne pouvons voir le programme

Les panneaux du projet

Avant même le chantier

Cachent cette portion de ville

Temporairement rendue à la terre

La terre revenue à la surface

Redevenue surface

De la cité 2

Là où ne se tient encore rien s’édifieront

Des volumes essentiellement remplis d’air

Notre souffle conditionné

Quel est le programme

Dans quel récit allons-nous nous inscrire

Alors que des vestiges remontent la terre

De la cité 3

Demandez le programme

Le théâtre de notre intimité

Les phylactères de nos paroles

Le cadre de nos pensées

Tout se déroule selon les plans

Quand aura-t-on foulé le programme

Le programme ne se consulte pas

Ne se lit pas

Ses modalités sont bien consignées sur des documents

Le programme imprègne l’atmosphère

Il est dans l’air

De la cité 4

Le programme peut nous voir

Sa vision nous englobe

Son imaginaire nous enrôle

Les panneaux en témoignent

Et nous nous levons chaque matin dans cet imaginaire.

De la cité featured

De Babel à “The Legible City” de Jeffrey Shaw en passant par les affiches déchirées de Jacques Villeglé, la ville est synonyme de langage.

“De la cité” est un projet transdisciplinaire qui prolonge le travail engagé avec les nanodrames, séries de séquences icono-textuelles entamées à la fin des années 2000. Ses manifestations dans le réel ou le virtuel peuvent prendre des formes très diverses, textes cut-up, placards, séquences de photo-montages, dessins, vidéos… L’écrit et l’inscrit s’y entendent tels que Gilles Deleuze, Félix Guattari et Jacques Derrida ont pu les décrire :

« Écrire n’a rien à voir avec signifier, mais avec arpenter, cartographier » (Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux, Capitalisme et Schizophrénie)

« L’écriture est tout ce qui peut donner lieu à une inscription en général, qu’elle soit ou non littérale et même si ce qu’elle distribue dans l’espace est étranger à l’ordre de la voix : cinématographie, chorégraphie, certes, mais aussi «écriture» picturale, musicale, sculpturale, etc… » (Jacques Derrida, De la grammatologie)

Parler la ville, écrire la langue de la ville c’est utiliser ces états infinis de représentations, du neuf et du nouveau à la ruine, de l’interstice à la lézarde. Les “manifestations” de De la cité incorporent dans leur grammaire des matériaux, des supports et des représentations propres à la ville ; blocs, carrefours, interstices font office de syntaxe ; maquettes, cadastre et ruines en sont les temps.

« Ainsi – dit-on – se confirme l’hypothèse selon laquelle tout homme a dans sa tête une ville  qui n’est faite que de différences, une ville sans forme ni figures, et les villes particulières la remplissent. » (Italo Calvino, Les villes invisibles)

La ville est l’artefact total mais les manifestations sont le produit de la marche, la ville est sous nos semelles chaque jour dans nos déplacements, nourrit nos imaginaires et hante nos rêves. La ville est partout, descriptible uniquement dans le détail.

Comme nous déclinons nos avatars sur les différentes plateformes où il faut être, ou du moins paraître, les manifestations du projet sont partout et nulle part. Elles témoignent d’une forme éclatée qui ne renvoie pas à un centre comme bientôt la ville ne tournera plus autour d’un centre mais à des ruines.

Il y a plusieurs types de cartes suivant la grille de lecture que nous voulons avoir d’un territoire, pourtant une carte contient des éléments déjà différents.

La cité, qui est l’unique sujet, l’unique référent vers lequel pointe les multiples indices, ne s’aborde que sous l’angle mort. Comme le dit si bien l’expression populaire, ce qu’on voit tous les jours on finit par ne plus le voir. La ville est l’environnement de gens de plus en plus nombreux et la plupart finissent par ne plus la voir.